feulefeu

FEU LE FEU

Vendredi 21 juin 2019 à 16:07

C'est une histoire d'envol.
Ton père se rêve libre, il se présente oiseau. Parfois, il s'échappe. Vers d'autres courants, d'autres femmes, d'autres cimes. Volage.

Et puis, il y a le vol de trop. Un vol raté qui laisse sans souffle.
On tire les rideaux sur ce qui ne sera pas.

Ta mère, Tombeau, se retrouve cousue de blessures silencieuses. Il lui faut neuf longs jours pour gravir la montagne née du sel de ses larmes. Ce sont neuf jours de déni, à tisser de ses pleurs des mensonges inaudibles pour toi. Elle t'invente des allers-retours imaginaires au chevet d'un homme qu'elle dit blessé et dont elle fleurit déjà la tombe. A te peindre des couleurs épaisses, moelleuses, des histoires généreuses d'un père qui respire encore. Car comment narrer à l'enfant la mort de son père ?
Elle passe neuf nuits à collectionner des mots, mais aucun n'est assez juste pour retranscrire. Chaque nuit, sentir grandir sous soi la dune de sel, chaque matin recommencer l'ascension. La peine ne perd pas en épaisseur mais devient peine aride, les pleurs se raréfient. Elle atteint le sommet, et du sommet t'observe longtemps, toi, son fils, qui poursuis tes jeux d'enfant. Tombeau, une dizaine d'années tout juste, à l'aube de tes premiers bourgeons. Comment t'apprendre ce que seul cet homme aurait pu enseigner ? Le rationnel, le relationnel, le vertige. Sauter de la montagne ? Les femmes font-elles de meilleurs oiseaux que les hommes ? Probablement pas. Elle sait qu'il faudra tenir bon, pour toi, bien qu'elle s'en sente alors incapable. Elle regarde avec tendresse celui qu'elle a porté rond, la respiration de l'homme aimé qui subsiste dans ton petit corps chétif d'enfant. Elle ne sait pas encore qu'en devenant un homme, tu prendras de son aimé défunt tous les traits. Que tu ne garderas d'elle, ta mère, que ses beaux yeux salins, de grands yeux témoins, dont la gravité atteste, comme tatouage au fer rouge "victime du malheur".

Tombeau, mes yeux s'alourdissent et t'offrent des larmes arc-en-sel, mes bras une poignée de caresses. Je te vois, même à travers ta nuit. Je te vois. Et maintenant, je la comprends, ta tempête.

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