feulefeu

FEU LE FEU

Vendredi 21 juin 2019 à 16:16

Ma grand-mère a des bras de pieuvre qui servent à repousser et non à enserrer. Les journées chez elle, je les passe enfermée dans le cagibi où je trie des boutons comme de petites pierres précieuses. Elle me jette parfois dans la volière aux oiseaux qui s'affolent, observe mon petit corps recroquevillé par la terreur. Je ne te l'ai jamais dit mais là-bas, Tombeau, j'y ai rencontré ton père. C'était un canari aveugle qui ne savait plus voler. Isolé dans une minuscule cage, pas plus grande qu'une boîte à chaussures. Je lui ai longtemps parlé, lui ai livré mes peurs et mes tristesses d'enfant. Mais ce qu'il me répondait, lui ? Je ne me souviens pas. Je crois qu'il me parlait du fils qui apporterait un jour l'amour au milieu de l'orage, et de ses chaussures d'or comme ses plumes de père, pour le reconnaître. Je crois qu'il me disait patience, il y a une vie après la nuit. Peut-être. Je ne sais pas. A quoi ressemblaient tes dix-huit ans, Tombeau, à travers les rideaux de pluie de mes sept ans ? Quand naissaient les noeuds au milieu de ma gorge, s'épanouissaient à toi les premiers désirs, les premiers émois. A quoi rêvais-tu pendant que je triais mécaniquement des boutons ? Quelles douleurs te terrassaient ? Quels rêves est-ce que tu poursuivais ? Si j'avais compris, enfant, enfermée dans la peur, cadenassée dans la volière, qu'il y avait à quelques larmes d'ici celui qui essayait d'apprendre à être un homme, qui s'acharnait à combattre les cris de ses fantômes pour me réserver, un peu plus de dix ans plus tard, un nid d'amour dans lequel y blottir mon âme. En éclaireur... Si tu avais su qu'il y avait, de l'autre côté de ce mur délabré que tu peins de tes mains qui griffent et qui graffent, de l'autre côté du destin, loin du rap et de la drogue qui te maintenaient alors debout, une enfant malade qui ôterait un jour sa robe de feu pour l'abri de tes bras. Qu'elle trouverait toit en toi et t'offrirait une trêve ou tout du moins une autre guerre. Que tu pourrais être homme, pour elle, et refuge. Qu'il y aurait un espace sauf où apprendre à s'aimer, où être ensemble serait être enfin à sa place. Si nous avions su, Tombeau, n'aurions-nous pas souri à l'ombre un peu plus tôt, confortés par l'idée qu'il y a bel et bien une vie après la nuit ? Les soirs parcourus d'étoiles filantes doubles ne s'y trompent pas, mon amour.

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