feulefeu

FEU LE FEU

Vendredi 21 juin 2019 à 16:42

Il y a dans les yeux de ma grand-mère un lourd appel aux fleuves. Elle porte la brûlure en bandoulière, comme une excroissance de soleil. Une tumeur. Je n'ai jamais bien compris son langage marqué par l'exil. Mais j'essaie de traduire le feu de sa haine sur moi. Et je crois entendre, sous les coulées de lave qui me poursuivent :
"Je devais être couturière, Abysse, pas retoucheuse. J'avais des mains d'or qui auraient pu m'épargner une vie de misère. Mais j'ai avorté de mes projets, je les ai percés à l'aiguille quand j'ai porté ton père. J'ai tenu ce petit être dans mes mains de retoucheuse, ce petit être qui cristallisait seulement l'envol de mes rêves. J'avais des mains faites pour être des mains de couturière, des mains dignes qui devaient me faire voyager loin, pas me laisser immobile ! Paris... Paris qui m'attendait. Si j'avais eu le choix, j'aurais choisi un autre avortement, une autre mort. Celle de l'enfant. Mais je ne l'ai pas eu, le choix. Et les prières ont été vaines, alors... J'ai percé son enfance à l'aiguille, piquantes petites humiliations quotidiennes. Et je n'ai pas cousu de manteaux à ses blessures, jamais. J'aurais pu en confectionner. Avec amour. Et soin. Jamais, non. Je me suis contentée d'ajuster. Pour qu'il porte ses blessures bien serrées contre lui. Jusqu'à en être étouffé. Mon fils, pardonne-moi mais je suis retoucheuse, pas couturière, comme tu le sais déjà".

Il y a dans les yeux de ma grand-mère une injonction sourde qui dit "gagne ta liberté, toi, ne fais pas comme moi". Pourtant, j'attends comme chaque femme de notre sang avant moi l'homme qui viendra me voler à la nuit.
Et il viendra,
Il essaiera.
Mais qu'aurait-il pu faire de plus, mamie ? Ton fils m'a cadenassée au bout d'une laisse.

La discussion continue ailleurs...

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