feulefeu

FEU LE FEU

Vendredi 21 juin 2019 à 15:49

Dix ans. Les coups dansent sur moi, les livres cognent, ça tape-tape saccadé, la violence de mon père est rythmée flamenco. Je tombe. Je voudrais crier "arrête", mais le mot d'épines est coincé dans ma gorge. Je reste silencieuse et tremblante, une joue cherchant au sol des contours de réconfort. Mais le spectacle n'est pas fini.

Le père : "TU NE SAIS RIEN PETITE CONNE".

Il hurle.

Le père : "DIS-LE PUTAIN, DIS JE NE SAIS PAS"

Abysse : "Je ne sais pas"

Le père "REPETE-LE"

Abysse : "Je ne sais pas"

Le père : "REPETE"

Abysse : "Je ne sais pas"

Pas, pas.
Je ne sais pas.
Je ne sais pas, papa.

Le père : "ET MAINTENANT, TU LA FERMES".
La dictature magnétique du silence sous son poing.

Ce jour-là, c'est une graine qui s'est plantée en moi et qui bientôt se fait arbre, qui pousse à vive allure, arbre persistant dont chaque aiguille me pique comme les mots que mon père m'assène ce jour-là : "tu ne sais rien, petite conne". Le lendemain, au milieu de l'arène, je m'avance en boitillant. J'ai des bleus qui commencent à poindre sur la transparence de ma peau. Comme ma mère me contraint à le faire, je demande alors pardon à la bête. Pardon papa. Et dans le ventre, l'humiliation, une humiliation grasse, qui me remplit. Pardon pour quoi ? De quoi suis-je coupable ? Je ne sais pas. Et dix ans après, putain, je ne sais toujours pas, maman.

Après des mois à m'ignorer, le père décide de lever le silence, de me redonner vie, de m'accorder à nouveau regards et présence, mots. Je me remets à exister sans y croire, je suis réelle. Je touche mes bras, mes jambes, ma peau lisse qui a perdu les bleus, j'existe. Ce sont ses yeux qui me font exister, c'est les mots de son regard posé sur moi. Il dit "Abysse", il me nomme et j'existe, j'existe à nouveau.
 Je ne suis plus "la gosse", je suis Abysse dans son regard en mots posé sur moi. Je suis heureuse, je fais la belle pour lui, sans couiner, bien sage au bout de ma laisse et lui offre ce que j'ai créé au centre aéré, entre deux de ses bourrasques : mon coeur en pâte à sel. En pâte à larmes. Est-ce qu'il y voit la métaphore ? Je ne sais pas.

La discussion continue ailleurs...

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